Le Cycle des Cieux, Tome 4 : Intrigues au Palais d'Argent by Allyps | World Anvil Manuscripts | World Anvil

Chapitre 5

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La barque tanguait doucement sur le Styx, sous une nuit remplie d'étoiles mauves. Les âmes qui nageaient dans le fleuve illuminaient le cours d'eau, créant des remous qui réveillèrent Michaël. La jeune vertu se redressa et observa les alentours, les berges du fleuve étaient plongées dans l'ombre, noires comme l'encre. Michaël ne connaissait pas cet endroit, mais son esprit ne s'en inquiéta pas. Tout était normal, naturel. La barque qui portait Michaël avança par elle-même, poursuivant son voyage. La jeune vertu attendit sans attendre, son esprit flottant entre le présent et l'éternité dans une sérénité absolue. Son corps était léger, enfin libre de ses douleurs. 

Au bout d'un moment, la barque se rapprocha de la berge et s'arrêta. Michaël se leva et débarqua. Un paysage luminescent se révéla au fil de ses pas, une végétation éthérée, des silhouettes fantomatiques allant et venant. Michaël parvint soudainement devant un petit palais, fait de miroirs. El entra et s'attendit à voir son reflet dans ses murs. Mais el vit une grande silhouette argentée.

— Raphaël ?!

Michaël recula. Son mentor était là, dans son corps de métal liquide qui tentait en vain de se reformer. El observa la jeune vertu sans montrer la moindre expression. Puis soudain el sourit, et s'exclama dans une phrase inaudible. Michaël fuit. El vit alors Kokabiel courir à ses côtés. 

— Laissez-moi ! protesta Michaël. Je ne veux plus vous voir !

Splash ! Michaël tomba dans un grand bassin. Un liquide rouge et visqueux s'aggloméra sur le corps de la vertu. Son odeur ferreuse l'étouffa. 

— Tu fuis. 

Michaël ouvrit les yeux. El se trouvait maintenant dans une caverne chaude et humide, sombre. Je suis dans le corps d'Aradim, comprit Michaël. Mais el est là, avec moi. 

Aradim était en effet là, assis en tailleurs sur le sol moelleux. El était toujours grand, mais n'était plus un géant. El devait dépasser Michaël de deux têtes. La jeune vertu l'observa. El portait une toge mauve, comme à son habitude, couvrant sa peau couleur neige. Ses longs cheveux mauves cascadaient dans son dos. Michaël se prosterna devant son aîné, saisit par une vague de révérence pour cet ange si ancien. Aradim avait près de douze mille ans. El avait connu la naissance de la société élohienne, l'âge d'or du Tikkun, puis la destruction de la Seconde Brisure. El était ensuite devenu le souverain de Tiphéreth, parcourant son royaume avec sa cour itinérante et son conseil de pachas. 

Michaël eut à peine le temps de se relever qu'Aradim se jeta sur el. 

À terre, l'archange-roi étrangla Michaël, menaçant de briser son petit cou. El souffla :

— Un pion placé par la géante rouge sur mon tapis. Maudite soit l'étoile sanglante. Pour la première fois, el m'élude des semaines durant. Là me mène ma charité. 

Michaël ne comprit pas ces paroles cryptiques. 

— Je ne suis le pion de personne ! protesta la jeune vertu. 

Michaël ne se rendit pas tout de suite compte qu'el venait de parler, alors même que sa gorge était sur le point de finir en purée. Le regard furieux d'Aradim se perdit dans le vague quelques instants. 

— Observe… observe tout, autant que tu veux, souffla Michaël. 

Les paupières de la jeune vertu se fermèrent dans un sommeil soudain. L'esprit de Michaël flotta quelques instants dans l'inconscient avant de réémerger. Là, la vertu se redressa, laissant Aradim saisir le vide entre ses mains. L'archange, pris de court, attrapa son petit frère par les épaules, cette fois sans le violenter. 

— Je suis dans un rêve, réalisa Michaël. 

Aradim acquiesça. Comme beaucoup d'anges, el maîtrisait l'oniromancie, l'art de manipuler l'inconscient des créatures, et apparemment, des autres élohim. 

— Tu fuis, dit l'archange.

— Non ! Je cherche juste à parler à notre père. Je veux qu'el m'envoie à Guebourah, avec sa bénédiction et sa protection. Je me battrai là-bas, je serai utile. 

— Tu mourras là-bas, dit alors Aradim. 

Michaël fronça les sourcils. L'avertissement d'Aradim était plein de certitude, de précision, comme s'el savait à l'avance les circonstances à venir. La jeune vertu se sentit écrasée par une terreur soudaine, mais par une forte gêne aussi. 

— Tu n'es pas une domination, répondit la jeune vertu. Tu ne peux pas connaître mon destin. Tu dis cela car une nouvelle titanomachie commence, n'est-ce pas ? Je m'en fiche. Ça me rendra encore plus utile. 

— Je ne lis pas entre les étoiles, concéda Aradim. Je lis ton inconscient. Et je vois dedans que tu mourras par le suicide, révéla l'archange, d'un ton toujours aussi assuré. Mais est-ce vraiment un suicide si c'est ta nature profonde et véritable qui te pousse à le faire ? Mmh… Une chenille sacrifiée, un papillon enflammé…

—Tu divagues, siffla Michaël, étouffé par un embarras qu'el ne comprenait pas. Tes paroles n'ont aucun sens. Aide-moi à rencontrer le Grand Architecte ou laisse-moi…

— La géante rouge te montrera à notre père, tu le sais. Pourquoi la fuis-tu ?

— La géante rouge ? De qui parlez-vous ?

— De l'oracle monstrueux qui règne sur la Géhenne de Guebourah.

— Géhenna, comprit Michaël. Géhenna eh bien… Els m'ont jeté par-dessus bord. J'ai flotté des années dans le vide. Je ne leur fais plus confiance ! Je ne fais confiance à personne…

— Et pourtant te voilà ici.

— Je n'ai plus le choix. Aide-moi ! Cela ne te coutera rien. 

— Le dormeur doit se réveiller. C’est bien au-delà de mes compétences. Mais je sais une chose…

Aradim se redressa et se transforma. Raphaël se trouva de nouveau devant Michaël, son corps liquide bouillonnant. Michaël recula, la mine transie d'effroi. 

— Si tu ne digères pas ton passé, tu te consumeras. Ton ascension échouera. 

— Es-tu un ange ou un maudit psychologue de la Chapelle ?! s'indigna Michaël en détournant le regard. Je n'ai plus rien à faire avec mon passé. 

— Tu es une âme sur le chemin.

— Je ne suis pas une âme ! Je suis un éloha !

— Un cocon masqué. Des épreuves sont devant toi. 

Michaël bascula au sol. Sa joue percuta un tapis de sable doré. Devant el, deux chérubins. Nakirée, Hémoée. Une grande bouche ouverte, un blanc absolu. Michaël FITZARCH. FITZARCH Michaël. M. M. M. F . F. F. CÉLESTE. ENFanT. CÉLESTE. PRincE. ARCHITECTE ! CÉLESTE. CÉLESTE. NOON ! NOOON ! PAR AZ ! TU VAS LE TUER NON !

Michaël s'écroula et hurla, avant d'éclater en sanglots. 

— Un long travail est devant nous, dit Aradim. 

— Laisse-moi partir, laisse-moi partir… 

— Michaël, écoute-moi. Écoute-moi bien.

Le jeune Fitzarch ne dit plus rien. 

— Ton identité est révélée à présent, soupira Aradim. Mais la traque continue. Ne perds pas la patience, la prudence que tu as acquise. Un battement d'aile de travers, et le Palais d'Argent sera un piège mortel. Les esprits les plus brillants y règnent. Mais leurs ombres sont tout aussi grandes que leur lumière. S'y cachent des dangers. L'ombre, le revers, la face cachée de l'astre. 

— Je survivrai. J’ai survécu à pas mal de choses déjà.

Aradim éclata de rire, puis el ouvrit ses bras. Michaël s'y précipita. 

— Je ne devrais pas m'attacher à toi, soupira Aradim.

— Je ne suis qu'une fraction de seconde pour toi, grand ancien, dit Michaël. Demain tu m'auras oublié.



« Le Palais d’Argent est le cœur de la Création »

Ici, il n’y avait que lumière, une brume rose que les yeux de Michaël ne surent percer. De longues heures, le regard de la jeune vertu coula dans cet univers opaque. Allongé, el posa sa joue sur le bord du tapis et se perdit dans une transe méditative.

« Le Palais… d’Argent est le cœur… trône du dernier primordieu… ton père, le Grand Architecte »

Face à l’infini, ses pensées ralentirent, puis s’estompèrent. Ses objectifs aussi. À quoi bon chercher dans la brume infinie ?

Une étincelle apparut soudain.

Michaël battit des paupières pour chasser l’artéfact de sa vision. Mais d’autres scintillements apparurent. Une grappe d’étoiles filantes, puis une grande nuée lumineuse. Des halos de toutes les couleurs volaient à toute vitesse dans la brume. Bientôt, les chants résonnèrent, enfantins, plein de candeur. 

"Dans les Cieux infinis, nous venons en lumière,

Guidés par l’Architecte, notre étoile première.

En harmonie, nous volons, en lumière, nous unissons,

Vers le Palais d’Argent, notre destination"

L’allégresse de ces élohim remonta vers Michaël, qui sentit son corps vibrer de chaleur. El sourit. Sous la nuée d’élohim, Michaël distingua une rivière dorée. Les âmes-bulles déferlaient dans les flots, entourés des halos mauves des anges et ceux verts des principautés chantantes.

"Les âmes pas milliards nagent dans l’immensité,

Leur voyage sacré vers toi est tracé.

Chaque battement d'aile une prière, chaque regard un vœu,

Pour qu'au Palais d’Argent, elles trouvent bien la Voie."

Michaël vit alors des étoiles rouges glisser par-dessus le spectacle. Une formation constituée de milliers de puissances entourèrent la procession, la canalisant dans un couloir aérien. Michaël vit autour de nouvelles nuées massives d’élohim. El écarquilla les yeux, recula. El reconnu la signature de la lumière élohienne mais ne parvint pas à la lire. Les halos étaient trop nombreux. L’information qu’ils portaient se mélangeait en un déferlement de lumière. Els étaient des millions, des milliards, à progresser dans la même direction, dans les couloirs délimités par des puissances et d’innombrables ophanim.

— Regarde, dit une voix derrière Michaël. Là-haut.

Michaël leva les yeux et observa, bouche bée, le Palais d'Argent se dessiner dans la brume. El vit d'abord les sommets de ses tours innombrables, qui piquaient l'espace-temps comme des aiguilles, si fines et délicates, pour le coudre, le rafistoler. Les fils qu'elles tissaient descendaient sur les murs du palais, dessinant l'histoire de la Création elle-même. Michaël distingua gravée là la figure d'Aradim au-dessus du peuple des anges. Les reflets scintillants des murs renvoyaient les lumières des élohim tout autour, multicolores. Leur euphorie atteignait son paroxysme alors qu'els atteignaient leur destination. 

Michaël étendit son halo, frôlant le réseau EL. Les émotions des pèlerins bouillonnaient dans la conscience collective. Une excitation pétillante, une extase brûlante. Qu'attendaient ces pèlerins pour se montrer si fous de joie ? Els allaient entrer dans le Palais certes, mais qu'allaient-els voir ?

— Els passeront devant le Grand Architecte el-même, expliqua Kalfah. 

Michaël se retourna, la mine outrée.

— Je pensais qu'il était impossible d'avoir une audience avec el ! s'indigna la jeune vertu.

— Els passent devant el, expliqua Kalfah en levant les yeux au ciel. Ce n'est pas une audience, loin de là. 

— C'est un peu étrange. Que fait notre père à se faire observer ainsi ?

— El ne peut pas sortir du Palais, mais el doit se montrer au peupl'aile. Si le dernier primordieu ne se montrait pas, le désespoir gagnerait la Création. 

— Le Grand Architecte veut voir son peuple, réalisa soudain Michaël.

Au sommet du Palais d'Argent, Michaël aperçut l'œil, immense, fait de lumière. Il ne bougeait pas, mais les courants lumineux qui le composaient tournoyaient à toute vitesse. L'œil était un héritage de l'Eveil'artisan, le primordieu père des trônes. Ces derniers avaient été les sentinelles de la Création, les maîtres de l'espace-temps, bâtisseurs des Piliers de la Création, des portails célestes, et de bien d'autres structures qui défiaient les lois des cieux. Mais les trônes et leur primordieu étaient tous morts lors de la Seconde Brisure, dans des circonstances inexpliquées. Les ophanim les avaient remplacés. Ces derniers étaient basés dans le royaume de Binah à présent. Mais avant, il y a plus de six mille ans, les trônes et leur père régnaient sur Tiphéreth. Le royaume était le cœur de la Création, son centre, la clé de voute qui assurait l'équilibre de l'espace-temps. Ce n'était pas un hasard que le Grand Architecte, le dernier primordieu survivant, se soit reclus ici, dans le Palais d'Argent, plutôt que dans son royaume d'origine, Yesod. Kalfah chantonna :

"Dans le royaume-soleil, sa prison dorée,

El maintient l’équilibre, une charge sacrée.

Sa solitude, un fardeau pour l’amour de tout,

Viennent les souvenirs de la lune, si doux"

— El n'est pas seul ici, commenta Michaël en observant l'océan galactique des pèlerins.

La foule franchissait les milliers de portes du Palais, voltigeant par-dessus les âmes. La solennité du lieu ne calmait pas les pèlerins. Ici, même l'esprit de ruche des élohim ne permettait pas d'éviter les carambolages. EL soit loué, le tapis volant de Michaël et de Kalfah resta en altitude. 

— Nous allons entrer dans la tour Pâle, expliqua Kalfah. C'est le domaine d'Aradim. 

La vertu pointa la tour du doigt. Michaël resta bouche bée face à sa taille.

— Seule la tour du Grand Architecte est plus grande, ajouta Kalfah. C'est celle au milieu. 

— Quand pourrai-je le rencontrer ? demanda Michaël. 

Kalfah soupira, leva les yeux au ciel. 

— Aradim m'a promis que je pourrai !

— Aradim m'a dit que tu venais ici pour aider les guébouréens.

— Je ne peux pas les aider sans passer par le Grand Architecte avant ! El seul peut me libérer, me protéger jusqu'à mon arrivée là-bas. 

— Avec une nouvelle titanomachie qui commence, toi et ton aventure ne seront pas les priorités de Père. 

Michaël leva les yeux au ciel à son tour, lassé par le défaitisme de Kalfah. Même après l'ordre donné par Aradim de l'accompagner ici, el n'avait été d'aucune aide. La jeune vertu canalisa sa frustration pour alimenter sa détermination. Une fois arrivé dans la tour, el trouverait un moyen. Les opportunités ici devaient être infinies.

Kalfah ordonna à Michaël de revenir sous la tente. Le tapis approchait la tour Pâle à toute vitesse. Michaël distingua l'entrée par une fine ouverture. Les murs argentés du Palais crépitaient, ondoyaient. Els étaient très épais, mais ressemblaient davantage à des nuages qu'à une structure solide. Ils n'étaient pas faits de cristal, comme la majorité des bâtiments élohiens. Ils étaient l'œuvre des trônes, une manipulation de l'espace-temps qui, malgré son apparence poreuse, formait une barrière solide, infranchissable même. Après tout, le Palais d'Argent était l'une des rares structures des cieux qui avait résisté à la Seconde Brisure. 

Michaël eut du mal à déterminer quand exactement le tapis entra dans le Palais. Mais bientôt, le ciel bleu et la brume dorée disparurent, offrant un environnement d'une clarté absolue. Dans un couloir large d'une centaine de mètres, des dizaines de tapis progressaient, transportant des élohim. La majorité d'entre eux étaient des anges, concentrés sur leurs boules de cristal. Els surveillaient leurs âmes, qui passaient surement dans le Palais elles-aussi. Michaël reconnu l'aura de quelques Fitzarch par leurs halos. Sur les murs d'argent, des fresques de lumière colorée dessinaient de l'art abstrait. Michaël ne comprit pas leur sens. Mais ces formes firent bouillonner quelque chose au fond de son esprit. Des larmes montèrent dans ses yeux perçants. Kalfah le remarqua et sourit. 

— Aradim a fait du bon travail sur toi, dit-el. Comme toujours...mais en si peu de temps. 

Michaël ne comprit pas.

— Les larmes sont la preuve de ton progrès, expliqua Kalfah. Il n'y a plus de colère, d'embarras, de fuite en toi. Du moins, pour l'instant. 

— Je ne fuis plus, j'avance, dit Michaël, qui détourna cependant son regard des murs. 

Le tapis vola longtemps, sans autre signe de progression que les mouvements des véhicules alentours. Le reste du décor se figea dans l'infinité.

— Où allons-nous ? demanda Michaël, impatient. 

— Dans le domaine d'Aradim, répondit Kalfah. Mais on peut pas entrer comme ça. Ce Palais est un labyrinthe. Personne ne peut entrer et sortir à sa guise sans l'aide des guides. 

— Quels guides ? 

— Les guides, les vrais maîtres du Palais, ricana Kalfah. Els font un peu ce qu'els veulent cels-là. Croisons les doigts pour qu'els nous mènent au bon endroit. 

Au bout d'un moment incalculable, le tapis volant ralentit puis s'arrêta au beau milieu du passage. Michaël observa les alentours. Une nuée d'ophanim se manifesta, comme sortie de nulle part. Elle passa tout autour, ses milliers de regards assaillant les passagers. Pris dans la nuée, Michaël ne put s'empêcher de crier sous cette brusque intervention. 

— Laisse-les faire ! Ne bouge pas ! ordonna Kalfah.

Un gros œil globuleux apparut à Michaël, presque collé à son visage. L'ophana à qui il appartenait émit un son qui fit vibrer l'espace-temps.

BRRRRRRRRRRRRRRRRRRTTTTTTTRRRRRRRRR

— Oh par EL, oh par EL, haleta Michaël. 

Sa vision disparut. Son esprit fut poussé dans le réseau EL. Sans savoir comment, Michaël sentit le regard de l'ophana entrer dans son esprit, scanner ses moindres pensées, ses souvenirs, son identité elle-même. La jeune vertu sentit ses cœurs battre frénétiquement. Mis à nu, el attendit, sans pouvoir, ni vouloir rien faire d'autre. Quelques secondes plus tard, el retrouva la vue. 

— Désolé, dit Kalfah, libéré à son tour. Personne ne peut entrer dans le Palais sans être inspecté... Cet endroit appartenait aux trônes autrefois, avant la Seconde Brisure. Les ophanim les ont remplacés mais els ne sont pas censés avoir hérité de... de la propriété. 

— Oh vraiment ? ironisa Michaël.

— Els ont récupéré les savoirs des trônes, par la volonté d'EL, soupira Kalfah. Els sont les guides et nous sommes ici à leur bon vouloir. 

Michaël retint son souffle et leva les yeux. Des nuées d'ophanim tournoyaient dans les hauteurs, par milliers, par millions. Là-haut, tout là-haut, l'œil observait.



Michaël cligna les yeux.

— AH !

Le jeune Fitzarch sursauta. Kalfah éclata de rire. Els et leurs tapis n'étaient plus dans le Palais, semblait-il. Michaël vit sous el un désert immense, fait de sable mauve, sous un ciel étoilé illuminé par une lune blanche 

— On est ressortis ? demanda le jeune Fitzarch.

— Non. Il s'agit là du domaine d'Aradim, expliqua Kalfah. Nous sommes dans la tour Pâle. Les guides nous ont emmenés au bon endroit, EL soit loué.

— Qu'ont-els fait ? Un portail ? 

Kalfah acquiesça. Michaël regarda le désert, son horizon.

— Cet endroit est l'œuvre des trônes c'est ça ? 

— Plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur, affirma Kalfah.

— Le domaine de Raphaël était comme ça aussi, se remémora Michaël. El en sortait peu cependant.

— Aradim préfère parcourir son royaume, dit Kalfah. 

Le tapis acheva enfin son voyage, se posant devant un palais de briques. L'édifice était majestueux, entouré de végétation luminescente. Des dômes blancs couronnaient ses tours. Michaël descendit et sentit la douceur du sable sous ses pieds. Sa longue tunique violette se fondit dans le mauve. Kalfah resta auprès d'el, arrangeant ses vêtements. Les cœurs de Michaël battirent la chamade alors que son mentor l'emmena à l'entrée du Palais. Au-dessus de ses portes d'argent massif, un œil observait les visiteurs. Qui se cache derrière ce regard ? se demanda Michaël. Les images qu'il captait allaient-elles simplement dans la base de données des ophanim ? Ou remontaient-elles au roi des Cieux, au Grand Architecte ? 

Les portes s'ouvrirent dans un lourd grincement. Michaël et Kalfah entrèrent dans un hall de marbre blanc strié d'améthyste. Des anges par centaines allaient et venaient. Els ne remarquèrent pas les nouveaux venus. À tire-d’aile, Kalfah emmena Michaël dans les larges couloirs du palais, avec une aisance indiquant qu'el connaissait bien l'endroit. Mais l'angoisse de Michaël grandit alors qu'aux bords de sa vision, des ombres passaient. Le jeune Fitzarch tourna la tête, cherchant à les repérer, mais ces ombres fuyaient. J'hallucine ? Kalfah perçut son trouble et lui ordonna de ne pas s'en faire. 

— Tu es dans un domaine des anges. Peu d'élohim le savent, mais les anges sont les maîtres des ombres. Els gardent leurs secrets. 

Comment ça ? se demanda Michaël, qui ne comprit pas trop. El déglutit. El voyait des anges passer aussi, sans pouvoir les observer. Kalfah le conduisit au travers de jolis jardins intérieurs, où des étangs reflétaient la douce lumière qui baignait l'endroit, entouré de mosaïques miroirs. El traversa de portails, maintenus par des ophanim, qui menaient à des mondes dans le monde, des poches d'espace-temps. L'une abritait une savane, qui accueillait la vie. Oui, la vie, semblait-il, des créatures d'EL ici, bien loin des mondes de Malkouth. Des anges s'afféraient autour de ces animaux. Comment pouvaient-els s'incarner ici, à Tiphéreth, alors que leurs corps s'éteignaient avec eux dans le monde physique de Malkouth ? Kalfah traversa d'autres biomes. D'abord un paysage de neige blanche où des animaux grands comme des montagnes roupillaient sous les flocons, leur fourrure blanche les dissimulant aux yeux des autres créatures. Puis un océan ocre opaque, où nageaient des amas d'argile vivante. En dernier, Michaël visita l'atmosphère d'une planète gazeuse, où des serpents à plumes volaient, vivaient. Tout cela, sous la surveillance d'anges gardiens. Des élèves, précisa Kalfah. Michaël commença à comprendre, sans parvenir à se départir de sa stupéfaction appréhensive. 

— Tu es dans l'école d'Aradim, expliqua enfin Kalfah. Ici les anges apprennent à garder les âmes vivantes de Malkouth. Aradim est le seul à proposer cette formation à Tiphéreth. Toutes les autres sont à Malkouth, évidemment. 

— Comment est-ce possible ? demanda Michaël.

— C'est une bonne question, qu'il faudrait poser aux trônes. 

Un peu de Malkouth dans Tiphéreth. De physique dans une dimension purement spirituelle pour les âmes d'EL. Ainsi étaient les œuvres extraordinaires des trônes avant leur disparition, avant le cataclysme de la Seconde Brisure. Au ton de Kalfah, Michaël comprit que même les ophanim n'étaient pas parvenus à reproduire cet exploit. Ainsi, cette école était précieuse.

Félicitations, Aradim. Mais quelle va être ma place dans tout cela ? 

Au bout d'une longue visite, Kalfah conduisit enfin Michaël à sa destination : une petite salle de classe faite de brique, bordée par un jardin verdoyant. Michaël observa l'endroit, étonné. Une trentaine d'élèves, chacun à leur table, lui rendirent ses regards curieux. Leur puissant halo violet indiquait qu'els étaient tous des Fitzarch, comme Michaël. Els étaient tous des anges cependant. Els sourirent au nouveau venu.

— Je vous présente Michaël, annonça Kalfah, qui se posta devant le grand cristal-tableau. Comme vous, el est venu au Palais d'Argent pour servir notre Seigneur Aradim. El sera éduqué avec vous. Soyez bons avec el, car el va devenir votre assistant administratif. 

Michaël écarquilla les yeux alors que les élèves se mirent à applaudir, apparemment ravis. Assistant administratif ? El se fiche de moi ? Mais non, le visage de Kalfah était sérieux, presque empreint de gravité. Le mentor indiqua une place et ordonna à Michaël de s'assoir parmi les élèves. La jeune vertu s'exécuta, les dents serrées. 

La jeune vertu observa davantage ses frères angéliques, tout contents. Sous leur table, el distingua des grimoires, des cahiers, des tablettes de cristal. Mais évidemment, chacun avait une grosse boule de cristal devant els, pour surveiller les âmes. Une vertu professeur était là, devant. El discutait avec Kalfah à voix basse. 

— Qu'apprend-t-on ici ? chuchota Michaël à un élève voisin. 

— Nous apprenons à servir notre aîné Aradim, expliqua le Fitzarch. Les règles et les attentes de son domaine. Nous les anges apprenons son langage, l'oniromancie. Toi la vertu, tu apprendras à servir des anges. 

— Nous sommes tous venus ici grâce à la charité d'Aradim, dit un autre élève. Tu viens d'où toi ?

— De Hod, dit Michaël. Enfin, de Kokab, la capitale.

— Wha ! C'est loin !

Michaël acquiesça, un instant amusé. 

— Nous on vient de Tiphéreth. Certains de Yesod. 

— Avez-vous rencontré Père ? demanda alors Michaël. 

Les élèves échangèrent des regards confus. 

— On l'a vu oui, mais pas vraiment rencontré. 

— Pourquoi pas ? demanda Michaël.

— Le Grand Architecte a des millions d'enfants. Et el est très occupé. El se prépare à une nouvelle titanomachie. 

— Quel genre de préparations fait-el pour une telle guerre ? 

— El est le souverain des Cieux, el fait toutes sortes de préparations. Pourquoi tu demandes ça ?

— Silence, jeunes Fitzarch, ordonna soudain Kalfah. Michaël, je te laisse ici. Nous nous reverrons plus tard. Fait en sorte que professeur Mahiva ne me rapporte que des bonnes nouvelles à propos de toi.

Michaël acquiesça, refoulant une vague d'agacement. El se sentait terriblement infantilisé. Patience, s'ordonna-t-el. J'avance. Battement d'aile après battement d'aile, j'avance.

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